par Jean Marc Turine
Ex-producteur à France Culture (pendant dix ans)
Depuis le temps que le sujet est proposé aux spéculations, on finirait par en rire : «Quel est l’état de santé de France Culture ? ou Chronique d’une mort annoncée».Une évidence : Laure Adler, la directrice, a voulu et imposé un «jeunisme», non seulement en engageant des jeunes mais en exigeant de façon générale un ton et un rythme qui s’immiscent davantage dans l’air poisseux du temps. Du moins l’imagine-t-elle. Je ne sais pas si aujourd’hui France Culture est plus ou moins écoutée qu’hier, et je m’en moque puisque ce qui motive la désaffection ou la fidélisation des auditeurs ne peut pas être réellement connu.
Le constat est affligeant : après plus de quatre ans, la direction n’a toujours pas de projet ni éditorial ni formel. Dès lors, peut-on en attendre une ligne ?
Depuis son arrivée à la direction de France Culture Laure Adler n’a pas cessé de bouleverser la grille des programmes (même en cours d’année), a engagé des producteurs qui n’avaient jamais fréquenté un studio, a viré des producteurs sans autre motif que strictement personnel. Elle a surtout signé, en dépit de ses promesses, la fin progressive des producteurs tournants et des dramatiques.
L’émission du mercredi matin sur l’architecture, Métropolis, en trois ans, a connu quatre changements de durée.
Pendant l’été, elle a annoncé une nouvelle ossature reposant essentiellement sur quatre personnes (aucune femme) : Nicolas Demorant (le matin), Emmanuel Laurentin (en fin de matinée), Marc Voinchet (durant l’heure de midi) et Jean Lebrun (en fin d’après-midi). Je suggère de les désigner Les 4 paillassons de la patronne.
Nicolas Demorant a le ton branché et le timbre vocal du petit roquet brutal qui sait tout. Son art repose sur sa capacité à interrompre ses interlocuteurs grossièrement, à laisser peu de place au silence, voire au doute.
En confiant tous les matins, de 10h à midi, l’antenne à Emmanuel Laurentin, qui jusqu’à présent avait en charge l’émission La fabrique de l’histoire du lundi après-midi, Laure Adler a commis une erreur de stratégie. Emmanuel Laurentin dirigeait parfaitement une émission de près de deux heures une fois par semaine, mais il se montre incapable d’avoir le souffle nécessaire (ou la dynamique) pour animer quotidiennement un temps d’antenne relativement important. Conséquence : une suite débridée d’entretiens, de reportages inachevés ponctue ces heures. Sans moteur pour accrocher l’écoute. La vibration a disparu.
Selon des bruits (insistants) de couloirs, la direction commencerait à comprendre que ce choix n’est peut-être pas le plus pertinent qui soit. Encore un changement en perspective ?
Marc Voinchet, Monsieur Culture Générale, est égal à lui-même : il suit la ou les mode(s). Il est poli et faussement impertinent (mais ce trait de caractère est la signature, ou la griffe, même de France Cul). Ses invités sont des personnalités connues, bien ancrées dans le parisianisme et agréées par la patronne (pas de surprise de casting donc).
Quant à Jean Lebrun…
Il serait erroné de croire que Laure Adler est la seule responsable de cette perte de contenu et de mise en forme ou de construction des émissions. Son adjointe, Laurence Bloch, verrouille de façon extrêmement efficace la manière d’être et de penser sur France Culture.
Ce qui faisait un climat France Culture reposait en grande partie sur le travail avant diffusion, c’est-à-dire le montage et le mixage. Aujourd’hui, avec l’obligation de faire du direct ou du semi-direct, le savoir faire des attaché(e)s de réalisation se trouve réduit au minimum et la volonté de faire court ou de multiplier les participants (pour rameuter les beaufs ?) empêche dé développer des sujets, de vraies rencontres.
Depuis quelques années, France Culture cultive la frime, le discours paillette, la fausse insolence, l’étalage indécent et crétin du moi et/ou du sexe, le vrai/faux scoop. En vrac. France Culture montre tous les signes d’un «à bout de souffle» et ce diagnostic nous laisse défaits ou navrés dans le sens premier de ce mot «blessé, meurtri». Oui, dans la pensée, quelque chose est chagriné, accablé devant tant de gâchis d’énergie, tant d’impostures, tant de fausses vérités ou évidences. Tant de vide.
Aujourd’hui, France Culture vit sur son prestige passé. Il faut en parler à l’imparfait. Laure Adler, en adéquation parfaite avec la violence patronale généralisée, a réussi incontestablement à créer un climat sordide de délations, de chuchotements détestables au niveau des travailleurs et de concurrences acharnées entre les producteurs à cause d’un autoritarisme sectaire. Elle a consciemment massacré l’âme de cette chaîne de service public. Elle pourrait faire sienne la fanfaronnade bushienne «Qui n’est pas avec moi est contre moi.»
J.-M. T. octobre 2004.